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Divination en carafe

Brèves d’infos est un journal éphémère créé spécialement pour le ChallengeAZ 2024. Il paraît tous les jours du mois de novembre 2024 sauf le dimanche. L’édito journalier porte sur un drame, un instant de gloire, un choix de vie ou un acte héroïque. Les protagonistes de ces moments sont la plupart du temps des cousin(e)s plus ou moins éloigné(e)s ou leurs conjoints. 26 numéros de Brèves d’infos qui mettent en avant des faits dans la vie de ces individus et qui passent inaperçus à la lecture seule des actes d’état-civil les concernant.


S’il y a bien une profession, ou une activité, que je ne m’attendais pas à trouver un jour exercée par une personne présente dans l’arbre familial, c’est celle de cartomancienne. Une cartomancienne est une femme qui pratique la cartomancie, c’est-à-dire un art divinatoire basé sur le tirage des cartes. Les cartomanciennes sont aussi appelées «diseuses de bonne aventure». Valentine Camille Raymonde Valton, la fille d’un arrière-grand-oncle, pratiquait sous l’Occupation la divination par les cartes. Mais là où le bât blesse, c’est que visiblement, elle n’appliquait pas ses dons à elle-même. Comme on dit, «c’est le cordonnier le plus mal chaussé», et visiblement Valentine n’a pas su prédire ce qui allait lui arriver.

Biographie express de Valentine Valton et arbre de parenté avec mes enfants – Recherches personnelles

En 1936, Valentine, son époux et leurs 3 filles habitent à Pavillon-sous-Bois et selon le recensement effectué dans la commune cette année-là, Valentine est sans profession. Elle s’est peut-être découverte des dons de divination, ou un moyen de réagir à la suite du décès de sa fille Camille, car 5 ans plus tard, on la retrouve à Provins, sous le nom de madame Caussia, en tant que cartomancienne et/ou voyante et/ou astrologue. Pour attirer sa clientèle, Valentine fait régulièrement paraître dans un quotidien local «Le Briard» un encart pour proposer ses services.

Le Briard éditions du 25 avril, 26 août, 4 novembre 1941 et du 6 février 1942 – Archives de Seine-et-Marne

Début 1942, le malheur s’abat sur la famille de Valentine. Son mari Antoine décède en janvier, puis c’est au tour Mathilde, son aînée en avril. Est-ce après ses événements tragiques qu’elle a commencé une activité parallèle, fortement réprimée par la loi à cette époque? Je ne saurais dire. Toujours est-il qu’en juillet 1942, Valentine fait parler d’elle dans les journaux, non pas pour ses talents aux cartes mais pour avoir fait en sorte que des femmes interrompent leur grossesse.

Le Briard édition du 17 juillet 1942 – Archives de Seine-et-Marne

Valentine est une faiseuse d’anges! Entre 2 horoscopes et des séances de tarot, elle pratique des avortements. Mais en 1942, nous sommes encore loin de la loi Veil, et selon l’article 317 du Code Pénal, l’avortement est un délit, passible de la réclusion aussi bien pour la personne l’ayant pratiqué que pour celle qui en a bénéficié. C’est à la suite d’un interrogatoire concernant une femme hospitalisée dans un état grave que la police municipale de Provins a découvert que celle-ci avait subi un avortement. Une enquête a été menée et a mis à jour les pratiques de Valentine, dite madame Caussia. Elle est alors arrêtée avec ses complices mais aussi ses clientes, et la plupart de ce monde-là est conduit en prison. Dans les jours qui suivent l’incarcération de Valentine, d’autres femmes sont arrêtées sous l’inculpation d’avortement («Le Briard» édition du 21 juillet 1942 & «Le Briard» édition du 31 juillet 1942). En avril 1943, Valentine est jugée. Toutefois contrairement à ses complices qui paraissent devant le Tribunal Correctionnel de Provins , elle est renvoyé devant le Tribunal d’État.

Le Briard édition du 2 avril et 20 avril 1943 – Archives de Seine-et-Marne

Le Tribunal d’État a été institué par une loi du 7 septembre 1941. Cette juridiction comprenait deux sections, l’une siégeant à Paris pour la zone occupée, l’autre à Lyon pour la zone libre. Aucun recours n’était possible contre ses jugements, immédiatement exécutoires. Les auteurs d’actes « de nature à troubler l’ordre, la paix intérieure, la tranquillité publique, les relations internationales ou, d’une manière générale, à nuire au peuple français » étaient déférés devant ce tribunal. Les peines qui pouvaient être alors prononcées étaient la mort, les travaux forcés à perpétuité ou à temps, la déportation, ou encore l’emprisonnement avec ou sans amende.

Les organisations d’avortements constituent un motif de condamnation par le Tribunal d’État, ce qui est tout fait le cas de Valentine. Le vendredi 16 avril 1943, le verdict tombe. Valentine est lourdement punie, le tribunal rejetant toute circonstance atténuante. Celui-ci la condamne aux travaux forcés à perpétuité et à une amende de 2 000 francs. 2 ans plus tard, l’Allemagne capitule et la guerre se termine enfin. A cette occasion, Valentine est probablement amnistiée ou graciée. En effet, on la retrouve dans les recensements de 1946 à Saint-Maur-des-Fossés, résidant avec sa dernière fille, à côté d’un de ses frères. En 1949, elle se remarie avec André Perotin, mais l’union est de courte durée car Valentine décède le 7 mai 1951 à Saint-Maur-des-Fossés.

Cartomancienne – Gallica

Sources & Crédits
Archives départementales de Seine-et-Marne – Le Briard – Edition 01 – 25 Avril 1941
Archives départementales de Seine-et-Marne – Le Briard – Edition 01 – 26 Août 1941
Archives départementales de Seine-et-Marne – Le Briard – Edition 01 – 04 Novembre 1941
Archives départementales de Seine-et-Marne – Le Briard – Edition 01 – 06 Fevrier 1942
Archives départementales de Seine-Et-Marne – Le Briard – Edition 01 – 17 Juillet 1942
Archives départementales de Seine-et-Marne – Le Briard – Edition 02 – 02 Avril 1943
Archives départementales de Seine-et-Marne – Le Briard – Edition 02 – 20 Avril 1943
Archives Nationales – W/4. TRIBUNAL D’ÉTAT
Gallica – Cartomancienne Agence de presse Meurisse

24 commentaires

  1. Wow… Cartomancienne et faiseuse d’anges, tu as tiré le gros lot ! Le droit à l’avortement est quand même un beau progrès, je pense que de nombreuses femmes ne e survivaient pas à la manœuvre à l’époque vu comment c’était fait 😐

  2. Quelle personnalité !
    Pour ce qui est de supposer que Valentine n’agissait pas par altruisme lorsqu’elle aidait les femmes à avorter, car elle se faisait rétribuer pour ce service, je ne sais pas : le médecin aussi, se fait rétribuer – et on achète bien n’importe quel service. Vu les risques encourus pour l’exercice de cette activité, je me dis qu’il y avait peut-être une forme de solidarité entre femmes, obligées de payer seule le prix fort des grossesses non désirées.
    (Après, c’est sûr que si Valentine était de la trempe de Katie, le personnage du roman éponyme de McDowell, elle aussi diseuse de bonne aventure et faiseuse d’anges, effectivement, de plus sombres motivations étaient peut-être sous-jacentes… ^^)
    Merci pour cet article très intéressant !

    1. J’ai surement été un peu vite en besogne car en relisant plus attentivement l’article, je ne suis pas certains que Valentine et le dénommé Perathoner soient en cheville. A la suite de cette relecture, je préfère croire que Valentine agissait par solidarité féminine et je vais retirer la phrase «Il faut croire que la cartomancie n’est pas une activité assez lucrative, ni que Valentine est dans une démarche altruiste car elle est rétribuée pour ses services spéciaux» en attendant d’en savoir plus un jour si cela est possible.

    1. Merci Béatrice 😊 je vais essayer de voir par la suite pour en savoir plus sur son procès et aussi si c’est possible sur son adminstie

    2. ma grand mère paternelle est morte d’un avortement clandestin en 1943…. Je ne l’ai donc pas connue mais j’en garde un immense chagrin et une farouche conviction que le droit à l’avortement est. un bien fondamental et précieux..

  3. les faiseuses d’anges … recherchées quand on avait besoin d’elles et oscarisées le reste du temps … Elles ont fait autant de « miracles » que de désastres … Il leur manquait ce savoir faire qu’aujourd’hui seul le corp médical possède … Et peut exercer … sans dégâts
    PS, super le titre du billet

  4. Quelle vie dramatique que celle de Valentine, à la limite du glauque (Valentine voit mourir son mari et ses 3 filles, elle pratique des avortements, elle va en prison… et pour couronner le tout, elle cartomancienne)

  5. ma grand mère paternelle est morte d’un avortement clandestin en 1943, quand mon père avait 13 ans,ce qui m’a laissé un énorme chagrin et la farouche conviction que le droit à l’avortement est un bien fondamental et précieux

  6. Valentine a pratiqué deux activités bien éloignées l’une de l’autre ! Cela m’a fait penser au film de Chabrol « Une affaire de femmes », lesquelles étaient toujours jugées par des hommes qui étaient bien loin des préoccupations domestiques …

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