Brèves d’infos est un journal éphémère créé spécialement pour le ChallengeAZ 2024. Il paraît tous les jours du mois de novembre 2024 sauf le dimanche. L’édito journalier porte sur un drame, un instant de gloire, un choix de vie ou un acte héroïque. Les protagonistes de ces moments sont la plupart du temps des cousin(e)s plus ou moins éloigné(e)s ou leurs conjoints. 26 numéros de Brèves d’infos qui mettent en avant des faits dans la vie de ces individus et qui passent inaperçus à la lecture seule des actes d’état-civil les concernant.
Parmi tous les évènements tragiques qui sont relatés dans les journaux, il y en a un qui suscite un certain nombre d’a priori moraux ou d’idées reçues. On le reconnaît sans peine à la lecture du sous-titre de la brève du jour : le suicide. Celui-ci, comme tout le monde le sait, est l’acte délibéré de mettre fin à sa vie. Un acte qui peut être qualifié de lâche, courageux ou égoïste selon les gens, mais qui résulte presque toujours d’une souffrance d’une intensité telle qu’elle en devient insupportable. Malheureusement, l’expression de cette souffrance, par des signaux de détresse ou autres, n’est pas toujours discernable par les proches. Je ne sais pas quel était l’état émotionnel d’Alexandre Joseph Vince, au début mars 1910, mais celui-ci était sûrement intense pour que ce Briéron décide d’en finir.
Alexandre Joseph Vince fait partie de ces nombreux invisibles présents dans l’arbre des mes enfants. Tout comme Antoinette Henry de l’article «l’Eau de feu», donnons-lui enfin de la visibilité. Alexandre est né le 6 novembre 1872, 5 minutes avant son frère Jean. Ils ont vu le jour dans la demeure familiale située au lieu-dit le Lony, qui est à l’entrée sud de l’île de Pendille à Saint-Joachim. Alexandre est le 4e enfant de Jean et de Marie Anne Aoustin. La Brière étant une zone marécageuse, les métiers liés à l’agriculture ne peuvent employer tout le monde. Deux autres professions s’offrent alors aux Briérons : marin ou charpentier de marine. En 1861, sur les 4200 habitants de la communes, 360 sont des charpentiers. Ils sont employés dans les chantiers de Méan, Rozé, Trignac et Saint-Nazaire. C’est ce métier qu’Alexandre va choisir tout comme l’avait fait son père et comme va le faire son frère Jean. A ses 20 ans, il est recensé, puis incorporé en novembre 1893 au 65e régiment d’infanterie de ligne. Un mois avant ses 26 ans, Alexandre convole en juste noces avec Marie Claire Mahé, un jeune lingère de son âge. Est-ce le début d’une période heureuse pour le jeune charpentier?
A la vue du recensement de 1906, on est en droit de le penser. En effet, la famille d’Alexandre s’est agrandie avec la venue de 3 enfants. Seulement voilà, si la vie en avait décidé autrement, il y en aurait eu 3 autres sur ce relevé. La jumelle de l’aînée qui est mort-née, un petit Armand qui a vécu l’espace d’un an, et enfin une autre petite anonyme mort-née l’année du recensement. Il est difficile de savoir quel a été l’impact émotionnel de ses pertes pour Alexandre. Cela l’a-t-il fragilisé? C’est possible, on le serait à moins. Ajoutez à cela d’autres difficultés et il ne lui en suffit peut-être pas plus pour franchir le pas vers une extrémité fatale.
S’occuper de ses lapins est une routine pour Alexandre. Tous les matins, il se dirige vers son écurie où se trouvent ses clapiers. Le 3 mars 1910, le temps passé à nourrir les petits animaux est anormalement long pour Marie Claire, son épouse. Elle demande alors à un de ses fils d’aller voir où en est son père. Je ne sais si c’est Alexandre ou Fernand qui a obéi à sa mère en se rendant à l’écurie, mais le pauvre garçon a dû être tétanisé en découvrant son père pendu à une poutre. Je suppose qu’il est vite retourné vers sa mère, qui par la suite s’est probablement faite aider par des voisins pour décrocher son mari. Comme on peut des fois l’entendre dans des cas de suicide, le geste d’Alexandre, selon les journalistes, n’avait rien de prévisible. Pour tenter d’expliquer celui-ci, on avance des difficultés financières, du chômage et une embauche sur les chantiers de Trignac qui ne se fait pas. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que son désespoir était tel qu’il n’a pas vu d’autre solution pour le soulager!
Je ne vais pas terminer sur un note très gaie mais sur des données que je souhaite vous faire partager. La France est l’un des pays qui compte le plus de suicides en Europe. On y a constaté une détérioration de la santé mentale, particulièrement chez les jeunes depuis 2021, à la suite confinement lié au Covid-19. Le suicide représente en France encore près de 10 000 décès et 200 000 tentatives par an, soit près de 28 décès par jour. Tous ces chiffres émanent d’un document du ministère de la Santé datant févier 2024 et portant sur la stratégie de prévention du suicide.
Sources & Crédits
3114 – Le site de conseils et de ressources du numéro national de prévention du suicide
Archives départementales de la Loire-Atlantique – Saint-Joachim recensement 1906 Vue 12/88
Archives départementales de la Loire-Atlantique – Le Populaire du 6 mars 1910
Gallica – L’Ouest-Éclair du 7 mars 1910
Sante.gouv – Stratégie nationale de prévention du suicide
Ce n’est en effet pas très gai… J’espère que son fils s’est remis, ça doit être très éprouvant psychologiquement de découvrir son père ainsi.
Pas sûr. Le premier est mort à 25 ans et est déclaré en état de faiblesse lors de son recensement militaire. Le deuxième lui est décédé à 16 ans. Encore moins gai donc 😔
Tragique. Je ne sais pas si des familles sont épargnées, mais j’en doute. Nous avons tous connaissance de cas comme celui-ci parmi nos proches ou nos moins proches.
Tout à fait Françoise.
Ce que j’aime dans tes articles (entre autres), c’est les données contemporaines que tu nous présentent en conclusion.
Merci pour ce challenge
Pour ne pas oublier que c’est un sujet qui est toujours tristement d’actualité.
Un sujet délicat
Que j’espère avoir traité avec tact 😔
C’est un record dont notre pays se passerait bien. Quelle tristesse !
Oui on en préférerait des plus joyeux 😔
Je divulgache un peu mon prochain article sur le S qui parlera aussi d’un mort par suicide. J’ai trouvé des chiffres un peu moindre de morts par an (8.000 à 9.000 par an soit 22 à 25 par jour. J’ai trouvé aussi des statistiques un peu plus optimistes : le taux actuel de suicide est de 12 pour 100.000 habitants et il était de 22 pour 100.000 habitants en 1985.
La bataille des chiffres 😉 c’est toujours mieux si les tiens sont moindres.
Super bien traité pour un tel sujet.
Merci Béatrice 😊 j’avoue que je n’étais pas très à l’aise avec celui-ci 😔